Rambati Chaudhary : Au cœur de la lutte pour les droits humains
Rambati Chaudhary, défenseuse des droits humains népalaise issue de la communauté Tharu, une minorité marginalisée du Terai, a subi dès son enfance l’injustice des traditions patriarcales. Mariée à quatre ans et privée d’éducation formelle, elle a dû se conformer aux rôles imposés aux femmes dans sa société. Mais cette réalité l’a également forgée : animée par une volonté de justice sociale, elle s’est engagée dans la lutte pour les droits des femmes et contre les pratiques néfastes qui affectent sa communauté.
Invitée au Luxembourg par Aide à l’Enfance de l’Inde et du Népal (AEIN), en collaboration avec quatre ONG luxembourgeoises – Les Amis du Tibet Luxembourg, CPJPO, Frères des Hommes Luxembourg et SOS Faim – Rambati Chaudhary, a récemment participé à la table ronde intitulée « Défenseurs des droits humains et société civile : Enjeux, défis et perspectives internationales », organisée en collaboration avec l’Université du Luxembourg.
Découvrez ci-dessous le discours émouvant de Rambati :
Le Népal, un pays naturellement beau d’Asie du Sud avec une population de 30 millions d’habitants, est reconnu pour sa richesse culturelle et sa diversité. Avec plus de 125 langues parlées par divers groupes ethniques, le Népal incarne un véritable mosaïque d’ethnies, de valeurs socioculturelles et de traditions.
Malgré ce riche patrimoine, de nombreuses personnes népalaises continuent de souffrir de la pauvreté, de la marginalisation et de défis socio-économiques. Je viens de la communauté Tharu, un groupe ethnique marginalisé dans la région du Terai au Népal. Dans notre société, des pratiques traditionnelles néfastes comme la dot, le mariage d’enfants, les accusations de sorcellerie et les tabous menstruels restent répandues. Ces pratiques, enracinées dans des normes et valeurs sociales profondément ancrées, perdurent depuis des décennies, tenant nos communautés éloignées des idéaux des droits humains.
J’ai été mariée à l’âge de quatre ans, et ma mère est décédée quand j’avais seulement cinq ans. Dans notre société, il existe une croyance selon laquelle, si une fille grandit dans son foyer natal avant le mariage, cela augmente le fardeau de ses parents, notamment le coût financier de la dot et les frais liés à son éducation. Les filles sont souvent attendues pour s’occuper des tâches ménagères plutôt que de fréquenter l’école.
Ces croyances néfastes contraignent de nombreuses filles à des mariages précoces ou d’enfants, leur enlevant la possibilité d’obtenir une éducation et un avenir meilleur. Pour les mêmes raisons, j’ai moi-même été privée de toute éducation formelle. Tragiquement, les filles contraintes aux mariages précoces subissent souvent des violences domestiques, des abus sexuels et d’autres formes de violences basées sur le genre. Ces pratiques perpétuent des cycles d’oppression et d’inégalité pour un nombre incalculable de jeunes filles.
Heureusement, je n’ai pas subi de violences domestiques, mais la croyance profondément ancrée dans ma communauté, selon laquelle les femmes ne doivent pas montrer leur visage aux hommes, m’a obligé à le couvrir avec un châle. La société népalaise est majoritairement patriarcale, et ce patriarcat m’a confrontée à des discriminations de genre dès mon plus jeune âge.
Les nombreuses injustices sociales que j’ai observées envers les femmes tout au long de mon enfance ont semé les graines d’une pensée révolutionnaire dans mon esprit et mon cœur. J’ai réalisé que je ne pouvais pas rester silencieuse face à de telles inégalités. Cette conviction m’a poussée à m’engager dans la lutte contre toutes formes de discrimination au sein de la société. J’ai commencé à mener des campagnes communautaires pour défendre les droits ethniques et les droits des femmes au Népal, remettant en question les normes néfastes et encourageant d’autres personnes à exiger justice.
Dans ma jeunesse, la participation politique des femmes était pratiquement inacceptable, avec moins de 3% de femmes occupant des postes politiques. Pour une femme d’une communauté socialement marginalisée, se battre pour une représentation politique significative était sans précédent, mais j’ai choisi ce chemin et me suis consacrée à l’avancement du leadership féminin en politique.
J’ai affronté une résistance importante sur ce chemin. Des responsables politiques de haut niveau m’ont à plusieurs reprises fait pression pour que je retire ma candidature lors des élections, et j’ai souvent été obligée de me retirer. Pourtant, je suis restée ferme dans ma lutte. Grâce à ma persévérance et à mon engagement, j’ai finalement été élue vice-présidente du Comité de développement du district, puis adjointe au maire dans une circonscription locale du district d’Udaypur.
Durant mon mandat, j’ai amplifié la voix des femmes de la communauté, plaidant pour leurs droits politiques et menant une campagne pour assurer la participation des femmes au processus de rédaction de la Constitution. Ces efforts ont abouti à une garantie constitutionnelle d’au moins 33 % de représentation des femmes et à une disposition exigeant qu’un des postes clés dans les gouvernements locaux ou au Parlement soit occupé par une femme.
Aujourd’hui, grâce à ces réformes, environ 40 % des femmes ont été élues aux gouvernements locaux, un accomplissement remarquable qui reflète la puissance de l’action collective et de la résilience.
La violence basée sur le genre reste une préoccupation majeure pour les défenseurs des droits humains au Népal. De manière alarmante, au moins sept femmes ou filles sont victimes de viol chaque jour dans le pays. L’exploitation et les abus sexuels sont profondément enracinés dans la société ; par exemple, les femmes sont uniquement blâmées pour l’infertilité dans les familles. Face à ces injustices, j’ai pris l’initiative de diriger des groupes de femmes au sein de la communauté et j’ai organisé de nombreuses campagnes de sensibilisation pour lutter contre la violence basée sur le genre et la violence envers les femmes.
En tant que défenseuse des droits humains, mes collègues et moi-même avons affronté de nombreux défis, y compris des violences domestiques. Nos familles nous blâment souvent, se demandant pourquoi nous luttons pour les autres au lieu de remplir les rôles traditionnels, tels que les tâches ménagères ou les travaux agricoles. Ce stigmate social reste un fardeau constant.
De plus, j’ai reçu des menaces de la part d’hommes en position d’autorité publique en raison de mon travail en défense des droits humains. Dans de nombreux cas, l’État et ses institutions, comme la police, sont complices des violations à l’encontre des défenseurs des droits humains, refusant de déposer des rapports d’incidents ou se rangeant du côté des auteurs. J’ai fait face à des situations mettant ma vie en danger, notamment lorsque j’aidais les survivantes de viol en portant leurs affaires à la police ou devant les tribunaux.
À ces défis s’ajoute la montée de la violence en ligne. Les défenseurs des droits humains sont ciblés par des campagnes de diffamation, des menaces d’enlèvement et d’autres formes de harcèlement numérique. Sans mécanismes de sécurité au niveau local, nous demeurons à risque.
Ainsi, notre travail actuel au Népal ne vise pas seulement à bâtir une société sûre pour les femmes, mais aussi à offrir un environnement sécurisé aux défenseurs des droits des femmes. Nous, en particulier les défenseurs des droits humains issus de communautés ethniques et les défenseures, faisons face à un manque de ressources financières, à une solidarité parfois insuffisante de la communauté internationale au niveau des communautés démunies, et à un manque de connaissances. Je voudrais donc demander à la communauté internationale de nous fournir des financements flexibles pour les actions communautaires de défense des droits humains.
Nous prenons des risques pour notre vie dans notre lutte pour les droits humains et l’égalité. Nous utiliserons évidemment les ressources financières en appliquant une approche centrée sur les victimes, de sorte que vous n’aurez pas à vous inquiéter du risque de mauvaise utilisation des fonds. Je vous demanderais également de nous offrir des plateformes internationales pour que nous puissions faire entendre nos problèmes et accéder à des connaissances qui nous encourageront sur le terrain.
J’ai également ressenti un grand écart dans le transfert intergénérationnel des connaissances ; nous devons donc unir la jeune génération au sein des réseaux de défense des droits humains et transmettre ces savoirs pour renforcer la solidarité.
Les institutions nationales des droits humains, y compris les commissions des droits humains, des femmes, ainsi que les commissions pour les groupes ethniques et les Dalits, restent largement passives. Nous les exhortons à adopter un rôle plus actif et réactif et appelons le gouvernement à établir une politique de sécurité pour les défenseurs des droits humains au Népal.
J’ai maintenant 75 ans et je reste infatigable dans ma lutte pour améliorer la société et protéger les droits des défenseurs des droits humains, une mission que je mène depuis plus de 50 ans. Je vous exhorte toutes et tous à vous joindre à moi dans cette lutte pour les droits humains et à soutenir nos efforts sur le terrain.